Vendredi 13 décembre 20h00 Église de Monistrol Sur Loire Veillée Chants de Glorious (Projection vidéo…
Homélie du Père Henri Demars pour les obsèques du Père Gérard Fournier
Amis de Gérard, de Saint Didier et d’ailleurs, prêtres, nous voici réunis auprès de lui, avec tous les siens qui l’ont accompagné et soutenu avec toute leur affection dans l’épreuve de sa maladie. Dans le sentiment de notre impuissance devant ce mal inexorable, notre présence ici veut leur exprimer note amitié, notre sympathie, notre respect et les soutenir de notre prière.
Nous venons d’entendre les paroles des Béatitudes. Si Gérard a choisi cet évangile, cette bonne nouvelle, pour sa messe de sépulture, ce n’est pas pour rien. Ces paroles ont été au cœur de sa vie d’homme, de baptisé, de prêtre, comme une promesse et le programme à réaliser de ce que le Christ appelle le Royaume : un appel à croire que le désir d’un monde de paix, de justice, de fraternité doit soutenir notre action, un appel à travailler avec lui à réaliser cette humanité telle que notre Père la veut et la souhaite pour nous. Sur quel modèle ? Celui de l’humanité de Jésus qui est l’illustration vivante, la véritable exégèse des Béatitudes. Qui est le pauvre de cœur qui s’abaisse au rang du plus petit jusqu’à partager notre mort ? Jésus. Qui est cet homme plein d’une douceur qui rayonne une force tranquille sur la mer déchaînée, image de nos vies ? Jésus. Qui est celui dont la présence est consolation en partageant la peine des affligés ? Jésus. Qui est le miséricordieux, témoin de la tendresse de ce Père qui fait lever son soleil sur les bons et les méchants ? Jésus. Qui est l’artisan de paix qui donne la force de pardonner car nulle paix n’est possible sans le pardon, que ce soit dans nos familles, entre voisins ou ailleurs ? Jésus. LUI, et nous avec lui, pour travailler à ce Royaume selon une hiérarchie des valeurs à l’opposé de celle que nous propose le monde. Nous avec lui, oui, mais aussi, lui pas sans nous.
Il est l’homme vrai. Notre lecture de l’Evangile et le plus souvent faussée, parce que nous laissons trop de côté l’humanité de l’homme – Jésus. Qu’ont-ils vu ses disciples et ceux qui l’ont approché ? Un homme. Ils ignorent totalement que ce Jésus est Fils de Dieu au sens où nous l’entendons. Ils ont vu un homme dont l’humanité les a fascinés et faisait question. Ses amis l’ont suivi jusqu’à la débandade du vendredi saint. Comment auraient-ils pu comprendre que son humanité disait Dieu ? Rude leçon pour nous baptisés, prêtres ou laïques : notre humanité, que dit-elle de Dieu ? Toute pastorale se ramène à cette question. Tout pécheurs que nous sommes, dans l’infinie distance qui nous sépare de sa sainteté, le Christ nous appelle à être son image vivante, image souvent déformante et déformée, il faut bien l’avouer. Nul n’est au-dessus du pardon. Je crois pouvoir dire que notre ami Gérard, partout où il est passé, a été une présence pacifiante pour tous ceux qui l’approchaient, riche d’une profonde vie intérieure. Quand il lui arrivait de parler de gens affrontés à des situations impossibles, on sentait qu’il souffrait avec eux de se sentir impuissant, sans solution, avec un sourire résigné, plein de bonté.
Petite parenthèse, car il ne voulait pas qu’on parle de lui. Prêtre à la suite du Christ, « mis à part, mais non séparé », brebis parmi les brebis. A l’exemple du Christ, le sacerdoce du prêtre n’efface pas son humanité. Il reste homme parmi les hommes. Selon la loi juive, Jésus n’était pas prêtre. Rien ne le singularisait au regard des gens, sinon le rayonnement de sa bonté et son appel à la conversion pour que son peuple réponde à sa vocation de peuple témoin. Il voulait que ce peuple élu, dans son humanité, dans la réalité de la vie de tous les jours, soit le reflet de la miséricorde du Père. La vraie question n’est pas « à quoi on reconnait le prêtre », même si c’en est une, mais celle que pose notre pape François : quel visage d’Eglise pour que l’évangile soit « bonne nouvelle » et message d’espérance et de salut dans notre monde ? Concrètement : quel visage pour nos communautés ? C’est à cela que Gérard a consacré sa vie, humblement, sans bruit, dans une présence de tout instant, sans prétention, loin de la mondanité spirituelle fustigée par notre pape ; il n’aimait pas les honneurs, conscient que ce qui nous rapproche le plus des brebis ce n’est pas une quelconque supériorité intellectuelle ou morale, mais notre condition de pécheurs. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; c’est moi qui vous ai choisis ».
Alors, si le vœu de Dieu est cette humanité nouvelle que Jésus appelle le Royaume, le message des Béatitudes qui en est le cœur devient un appel de sa part : aidez-moi. Aidez-moi à consoler les affligés, aidez-moi à répondre aux assoiffés de justice sans céder à la haine. Ayez un cœur de pauvre pour savoir accueillir, un cœur miséricordieux pour pardonner. Cette lecture, une jeune juive morte à Auschwitz, Etty Hillesum, l’avait bien comprise et l’avait faite sienne. Dans la tourmente de la guerre et de la persécution juive par les Nazis aux Pays-Bas, elle écrit : « une chose m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes… Il m’apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon cœur que tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrite en nous. » (Journal 1941 – 1943, ‘Une vie bouleversée’)
Cher Gérard, tu as été un bon diacre. Cette grâce de notre diaconat tu l’as exercée d’autant plus dans ton ministère de prêtre… d’autant plus diacres, c’est-à-dire serviteurs, que nous sommes prêtres. Tu partages désormais l’incorruptibilité de l’Ami qui t’accueille, le Christ ressuscité : « je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle Amis » (Jn. 15,15) Aujourd’hui en cette fête de la Présentation de Jésus, tu peux reprendre les paroles du vieillard Siméon : « tu peux laisser ton serviteur partir en paix, car je suis appelé à voir de mes yeux la lumière qui a guidé ma vie, la lumière venue éclairer les ténèbres de notre monde. » Repose en paix là où la mort n’a nulle place, avec celui que tu as servi et annoncé, le Christ ressuscité.
Saint Didier en Velay : le 2 février 2016